Pourquoi les enfants croient-ils ?

« Pourquoi les enfants croient-ils ce qu’on leur dit ? Pourquoi accordent-ils foi aux histoires les plus déraisonnables ? Certes, ils sont à l’âge où l’on ne sait pas démêler le vrai du faux. Mais pourquoi font-ils confiance ? Pourquoi penchent-ils naturellement vers le oui plutôt que vers le non ? Et si le fait de croire aux êtres invisibles était une évidence innée, plutôt que le résultat d’une ignorance ?

Le Père Noël sur son traîneau céleste va faire halte sur le toit, descendre par la cheminée, déposer un cadeau, sans bruit, dans tes souliers et reprendre sa course, là-haut, dans le ciel noir. Les yeux s’éclairent et les mains battent. Pas le moindre soupçon de doute. Seraient-ils de sages vieillards, leur certitude émerveillée aurait de quoi nous convertir. Mais non, ce sont des enfants ignorants. Ils ne savent rien de ce monde. Et si grandir c’était aussi perdre une certaine mémoire ? Les poètes au bout de leur vie en redécouvrent quelques bribes. La vie, disent-ils, est mille fois plus vaste que les rêves humains. Et si les enfants savaient naturellement cela ?

Vient l’âge où l’on éteint cette heureuse lumière. Le Père Noël n’existe pas. C’était un mensonge amusant. La merveille hier évidente ? Le fol espoir qui fait aimer l’hiver ? Réveille-toi. Regarde. Il n’y a rien. La rue, les murs, les gens, c’est tout. Le bleu du ciel ? De l’air. Les étoiles ? Des terres mortes. Et cesse de rêver, mon fils. Fais tes devoirs. Il va falloir lutter pour te faire une place. Il a dix ans au plus, l’enfant, quelquefois moins. Le voilà grand. Désenchanté. Il a perdu cette sublime foi aux choses invisibles qui est l’essence même de la vigueur et de la jeunesse. C’est une parole d’Okakura Kakuso, l’auteur du Livre du Thé. Il connaît les saveurs, les douces et les amères.

Il en est qui ne croiront jamais plus au Père Noël. Ils le diront à l’occasion comme on dit de ces choses froides, avec un grincement de porte mal fermée. D’autres en éprouveront une vague souffrance, leur vie durant. Ils rétréciront tout, de crainte d’être dupes. Une fois (une foi ?) suffit. Il ne faut pas croire au Père Noël. J’en connais qui ne se sont jamais relevés de leur chute dans cette épaisseur des choses que l’on appelle le réel. Certes, ils ont vécu, ils ont fait leur chemin, ils sont même, parfois, arrivés. Mais quelqu’un geint au fond d’eux-mêmes. Quelqu’un, pour ne pas dire un ange, un enfant aux ailes brisées.

Redonnez sa chance au Père Noël. Et si le mensonge n’était pas où on le croit ? Et s’il était justement dans cette désespérante exclusivité offerte à la prétendue réalité ? Et s’il n’était pas vrai que ce sont les parents qui offrent les cadeaux ? Oui, c’est moi qui l’ai acheté et qui l’ai déposé sous l’arbre. Mais je ne te paie rien, et tu ne me dois rien. Dans ce monde où rien n’est gratuit, quelqu’un passe chez toi et offre et repart on ne sait même pas où sans même attendre ton merci. Qui fait cette merveille ? Ni toi ni moi. Qui donc? Semons au moins cette question dans le regard de nos enfants. Au moins qu’ils aient une lumière vers qui marcher, dans la forêt qui les attend. »

Henri Gougaud

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Déjouer l’intentionnalité

« Il y a quelque chose d’incongru à tenir un discours sur l’humilité ! Ayant accepté d’en parler, je me limiterai aux bénéfices qu’on peut tirer de cette vertu dans la pratique de l’écriture. 

On est amené poétiquement à une humilité fondamentale puisque dans l’écriture poétique ou dans l’écriture d’une prose soutenue il s’agit d’acquérir un savoir-faire dont on ne doit pas faire étalage. L’écriture doit être dénuée de prétention à posséder son sujet. La plus belle phrase est celle qui semble donnée, non celle qui semble atteindre la maîtrise de l’expression. Celui qui écrit se met entre parenthèses dans l’attente d’une sorte de grâce. Et cette grâce ne nous sera donnée qu’à condition de renoncer à l’illusion d’une maîtrise. Il s’agit de déjouer le plus possible l’intentionnalité et d’attendre que quelque chose vienne nous surprendre dans l’acte même d’écrire. Lorsqu’on est bloqué sur une page, ce n’est pas avec la volonté forcenée d’en venir à bout, ni en accumulant des efforts dramatiques pour en finir que nous en sortirons. La plupart du temps tout se dénoue de façon insolite et telle que l’on a l’impression de n’y être pas pour grand-chose.

C’est pour cela que je ne déteste pas être dérangé. J’aime que le téléphone sonne. J’aime qu’on m’appelle ; j’aime être interrompu. Car plus je suis interrompu, plus en moi se ranime secrètement la chose en train de se faire, de sorte que bientôt la phrase trouve son équilibre. L’écrivain est donc tenu à un devoir d’humilité. Et si l’on réfléchit à quoi tient l’écriture, je ne crois pas que ce soit à l’originalité du discours ; nous venons bien tard… Donc tout se joue dans l’arrangement des mots ; la beauté des choses tient à ce qui est imperceptible. En effet celui qui écrit se voue à une sorte d’attention distraite portée à l’imperceptible. Donc plus on se détourne du discours et de la volonté de dire, plus on porte attention au rythme, à la musique, au souffle, au silence, plus on approche d’une phrase vivante. A l’inverse, plus on est dans la prétention plus on s’enfonce dans le ridicule. »

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Le monde tel qu’il se présente

« Vous dites : le réel, le monde tel qu’il est. Mais il n’est pas, il devient! Il bouge, il change! Il ne vous attend pas pour changer… Il est plus mobile que vous ne l’imaginez. Vous vous rapprochez de cette mobilité quand vous dites : tel qu’il se présente. Il « se présente » : cela signifie qu’il n’est pas là, comme un objet. Le monde, le réel, ce n’est pas un objet. C’est un processus. »

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Un pays de mains tendues

« La feuille même où j’écris serait-elle un pays de mains tendues ? »

Antonio Ramos Rosa

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Vers l’initiation

« Le mot qui court…

est celui du chemin,

qui va vers l’initiation. »

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Est-ce moi qui marche ce soir ?

« Est-ce moi qui marche ce soir

Dans ma chambre ?…

Je regarde autour de moi

Et trouve que tout

Est semblable et ne l’est pas…

La fenêtre était-elle ouverte ?

Ne m’étais-je pas déjà endormi ?

Le jardin n’était-il pas vert pâle ?…

Je crois que mes cheveux étaient noirs…

J’étais vêtu de gris…

Et mes cheveux sont gris

Et je suis vêtu de noir…

Est-ce là ma démarche ?

Cette voix qui maintenant résonne en moi,

Porte-t-elle les rythmes de la voix qui était mienne ?

Suis-je moi-même ou suis-je le mendiant

Qui rôdait dans mon jardin à la tombée du jour ? »

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La parole poétique

« La parole poétique pourrait-elle exister sans un refus des compromissions ?

Sans se lever contre les pouvoirs et le faux ?

Vous savez bien que non. »

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Dans cette préhistoire

« Bien. Nous avons déjà un mur ;

Il faut le regarder maintenant,

Imaginer la maison.

C’est le meilleur moment

D’une construction :

Tout est clair et possible,

Tout est un don de l’air,

Il n’y a rien encore

À raconter, seulement des rêves.

Restons encore un peu

Dans cette préhistoire,

Cette terre de personne

Où le mur appartient à tous. »

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